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Management - Stratégie

Le Storytelling en entreprise, l’exemple d’Apollo 13

Publié le : 16 March 2023

Philippe Leman, fondateur de Pilgrim et Expert en storyteling pour entreprise a donné une conférence aux participants aux formations d’ICHEC Formation Continue.
Durant cette conférence, Philippe raconte l’histoire d’Apollo 13.
Et si cette histoire n’était pas si éloignée de ce que nous vivons dans le monde de l’entreprise?
Et si elle avait des choses à nous apprendre?
Attachez vos ceintures et décollons vers la Lune pour une mission mouvementée avec Philippe Leman!

 

Bonjour Philippe, peux-tu, pour commencer, te présenter en quelques mots ainsi que le pourquoi de cette comparaison entre l’entreprise et le film Apollo 13?

Je m’appelle Philippe Leman et je suis un ancien étudiant de l’ICHEC.
J’ai travaillé pour le groupe Unilever pendant plusieurs années, que ce soit dans des sociétés opérationnelles en Belgique, au quartier général aux Pays-Bas ainsi qu’en France et en Grande-Bretagne.
Suite à ces expériences, j’ai décidé de quitter le groupe. Pourquoi?
Parce qu’au cours de ces différentes expériences, j’ai mis en place, ce qui nous intéresse aujourd’hui. C’est à dire, faire un parallèle entre le film Apollo 13 et l’entreprise.
Tout d’abord avec les équipes de jeunes informations que j’avais sous ma coupe.
En effet, si je leur parlais platement des choses à mettre en place et des objectifs à atteindre, j’avais peur de les perdre en cours de route, c’est comme ça que m’est venue l’idée du storytelling en général.
Dans ce film, on voit une démonstration d’excellence, des gens qui font excellemment bien, et c’est ce qui est très important pour ce qui va suivre, à la fois comme leader, comme individu seul et en équipe.
J’aime bien trouver des histoires qui réunissent ces trois composantes, parce qu’elles s’adressent à tout le monde, au final.
J’ai donc décidé de leur montrer des extraits du film et de s’en inspirer, pas d’en faire un copié/collé, ce qui serait complétement contre-productif.
Et ça a super bien marché! Ils sont rentrés dans l’histoire en en tirant leurs propres enseignements, leurs propres concrétisations.
En partant de ce constat, j’ai réitéré l’expérience dans mes expériences d’après en France et en Grande-Bretagne et cela fonctionnait tout aussi bien!
Je me suis donc dit: “Le monde est plus grand qu’Unilever, je vais donc créer une entreprise qui ne fait que ça” et c’était déjà il y a 20 ans!
Au départ, nous vendions des produits, qui se trouvent d’ailleurs toujours sur notre site web, ce qui devait permettre à n’importe quel responsable qualité, comme moi je l’étais à l’époque, de soutenir tous ces concepts.

Ces ouvrages ont très bien fonctionnés jusqu’en 2008.
Suite à la crise des subprimes, la demande des clients a changé et nous a demandé de venir parler de ces concepts.
C’est comme ça que sont nées les conférences, les formations…
L’idée de l’histoire, et finalement c’est quelque chose qui peut s’adresser à n’importe quel formateur ou conférencier qui utilise l’histoire dans ses prestations, c’est que le rôle, le profil de la personne qui donne la conférence change complétement.
Traditionnellement, le conférencier est perçu comme un donneur de leçon. Avec le storytelling, la posture est totalement différente!
En effet, le conférencier ou le formateur n’est plus du tout cette personne qui dit: “Moi je vous montrer ce que vous devez faire”, mais est juste une interface entre l’histoire et les gens et ce sont eux qui font le travail!
Evidemment, parfois, il faut savoir donner quelques exemples, un petit teasing en faisant le parallèle entre l’histoire et le quotidien du public, juste pour que les gens comprennent le type de concrétisations et la traduction qu’ils doivent en faire.
Un autre point intéressant, concernant le storytelling que je pratique, j’utilise des histoires vraies car ce sont celles qui ont le plus d’impact!
Ce qui a encore plus d’impact dans le storytelling, c’est quand il s’agit d’une histoire vraie qui me concerne moi, quand c’est un témoignage.
Ces histoires vraies ont va les trouver soit dans l’Histoire Universelle, ou des histoires de l’entreprise tout en évitant de prendre des histoires d’autres entreprises du même métier, ce qui évite les comparaisons.
Quand on prend l’histoire de l’entreprise, ça a énormément d’impact parce que les gens se retrouvent eux-mêmes alors qu’en ce qui concerne les histoires universelles, je les prends assez éloignées du quotidien. C’est fait exprès!
Si je prends des histoires qui sont trop proches de leur métier, les gens vont comparer. En les éloignant, le public rentre plus facilement dans l’histoire et après quelques minutes, il retrouve ses propres comportements et attitudes dans l’histoire donnée.

 

Pourquoi est-ce que le storytelling fonctionne si bien?

Alors là, on va rentrer directement dans le fonctionnement même du storytelling.
Au final, qu’est-ce qui différencie une histoire d’un rapport? C’est que dans une histoire, il y a des gens!
Ces personnes vivent des choses. Bien sûr l’intérêt d’une histoire tient au fait qu’il y ait du suspens. Pourquoi? Pour susciter des émotions!
Le public qui écoute ces histoires, vont se mettre à la place des protagonistes et ressentir ces mêmes émotions, ce qui dégage de l’adrénaline.
En dehors du sursaut d’énergie que provoque l’adrénaline, celle-ci booste surtout le mémorisation et ce qui nous intéresse ici.
L’adrénaline peut augmenter la mémorisation jusqu’à 20 fois!
D’où l’intérêt des visuels ou des supports audio pour appuyer les propos, comme la bande-dessinée par exemple ou encore des vidéos afin de mobiliser tous les sens car tout le monde n’a pas le même type de mémoire.

Et donc, quel est ce fameux parallèle entre l’histoire d’Apollo 13 et le monde de l’entreprise?

Je vais d’abord embrayer sur un sujet que je n’ai pas encore abordé.
De nos jours, il y a beaucoup d’entreprises qui ont recourt au storytelling. Mais bien souvent, c’est pour promouvoir des services ou des produits.
Elles utilisent donc le storytelling comme un outil de vente et de marketing.
Nous, chez Pilgrim, nous nous en servons pour véhiculer d’autres types de messages, liés à des attitudes, des valeurs ou encore des concepts qui tendent vers l’excellence.
Dans la conférence qui a été donnée aux participants aux formations d’ICHEC Formation Continue, l’idée était de montrer à travers l’histoire, des comportements des attitudes qu’ils vont avoir ou rencontrer dans le monde de l’entreprise.
Les participants vont identifier un certain nombre de grandes thématiques que l’on va retrouver dans l’entreprise qui sont liées au leadership, au travail en équipe ou à la posture individuelle.
Pour établir le parallèle entre Apollo 13 et l’entreprise, tout commence par l’importance des visions, missions et valeurs.
L’histoire de la conquête spatiale est le fruit d’un énorme travail, ce qui est une comparaison intéressante avec le monde de l’entreprise.
Il est intéressant d’imaginer que les visions, missions et valeurs sont la résultante d’un travail collégial, comme cela se fait de plus en plus dans les entreprises, ce qui est, selon moi, une très bonne chose, simplement parce que si les collaborateurs l’ont construit, il ne faut plus leur vendre.
Un grand principe qui m’est resté da ma carrière chez Unilever est “Les gens défendent ce qu’ils ont aidé à construire”, ce qui signifie qu’au plus les personnes sont impliquées, dans un projet, un processus… au plus ils vont le défendre après.
La NASA à l’époque de la conquête spatiale est une entreprise modèle en terme de changements.
En effet, elle change, elle évolue, en permanence pour atteindre son but, sa vision, aller sur la Lune. Une institution qui essayait de pratiquer l’agilité.
L’agilité, rappelons-le, est la capacité pour une organisation d’être toujours en phase avec son environnement, ce que faisait très bien la NASA de l’époque.
Parce que la succession de toutes ses missions qui vont mener jusqu’à la Lune, à un moment donné il y a une rupture comme avec la navette spatiale.
Ce n’est plus du tout la même chose, les mêmes objectifs.

On s’intéresse également à la façon dont les équipes fonctionnent les unes avec les autres.
Effectivement, la mission dure plusieurs jours et plusieurs nuits et donc les équipes sont articulées en rotation et travaillent 24h/24, ce qu’on retrouve dans certaine entreprise, évidemment.
Quand on voit le travail de ces équipes qui se passent le relai après 6heures de travail, on a devant nous une chaîne de qualité.
Elles se passent de l’info, ce qui correspond à leur produit ou à leur service, et ces infos passent à l’équipe suivante qui est donc le client.
C’est l’occasion de mettre en avant les chaînes de qualité qui ne sont finalement que des relations de clients à fournisseurs.
Cela part d’une demande du client externe jusqu’au retour au client externe avec toutes les relations clients-fournisseurs qui sont bien mises en évidence dans cette histoire.

Dans cette histoire, on voit aussi l’importance des équipes de soutien, c’est-à-dire lorsque que quelqu’un est investi d’une tâche, il doit savoir sur qui il va pouvoir compter.
Ces équipes dans lesquelles on va retrouver les personnes qui ont l’expertise la plus profonde, qui peut aussi bien être mon fournisseur que mon client ou encore mon partenaire.

Ce qui fait aussi la différence, c’est le mental et la posture de chacun mais aussi la façon dont on s’organise.
On va évoquer ici le cas concret du CapCom, qui est l’officier de communication, qui est le point central entre toutes les équipes et les astronautes afin d’éviter le chaos en ayant une seule colonne d’informations, une seule voix. Mais surtout, pas n’importe quelle voix!
Tous les contrôleurs de vol sont des ingénieurs, pas les CapCom! Ce sont des astronautes! Et pourquoi? Simplement parce qu’ils parlent le même langage!
Ceci rappelle l’importance, lorsqu’on est en contacts avec un client, de parler son langage.

Autre personnage important, John Aaron. Un héros de la conquête spatiale avec Apollo 12, la mission précédente.
Lorsqu’un éclair touche la fusée et que les instruments de bord permettant de guider le vaisseau dans l’espace affichent des données absolument farfelues et qu’il ne reste comme solution que d’annuler la mission, lui qui est un expert dans les systèmes électriques de part sa formation, propose une idée saugrenue, certes, mais qui sera acceptée car il connait son domaine.
D’où l’importance de la formation, également en entreprise, bien entendu.
Cela démontre aussi l’importance d’oser exposer ses idées, d’installer une culture dans l’entreprise qui permettra à tout un chacun d’oser donner des idées, quelles soient bonnes ou moins bonnes, d’ailleurs.
Enfin, le patron lui fait confiance! C’est un excellent exemple de délégation responsable.

Point suivant que l’on peut constater dans cette histoire, c’est la capacité de la NASA à apprendre de ses erreurs. Un point qui d’ailleurs bien mieux ancré chez les américains que chez les européens.
On le constate avec certains chefs d’entreprise américains qui n’ont aucun problème à dire qu’ils ont été déclarés en faillite plusieurs fois et qui expliquent comment ils ont rebondi. En Europe, on est encore très tabou par rapport à ça, c’est encore parfois pris comme un aveu de faiblesse.
Dans l’histoire de la conquête spatiale, plusieurs erreurs ont conduit à un désastre, la mort des 3 astronautes de la mission Apollo 1.
La NASA a su apprendre de ces différentes erreurs en comprenant d’où elles venaient, en traitant les erreurs à la racine et aussi en inculquant une culture d’entreprise dans laquelle on a le droit de faire des erreurs.
Dernier point important: ne pointons pas du doigt! On a tendance à pointer les erreurs des personnes ou des départements. Mais ce n’est pas à eux qu’il faut s’attaquer mais bien au processus.

Dans la suite de la conférence, on aborde ensuite l’explosion qui survient à bord de la fusée. Ce qui frappe de prime abord, c’est le calme des occupants du vaisseau alors que l’incident qui vient de se produire leur fait perdre de l’oxygène.
Cela est du aux formations, ils ont été préparés à faire face à des situations inattendues. Evidemment, l’évènement qui se produit n’est jamais celui auquel on a été préparé mais le mental a été entraîné à faire face.

A partir de là, il y a d’autres thématiques qui sont mises en évidence.
Il y a plusieurs formes de collaboration, comme on l’a vu avec les équipes de soutien, et une de ces formes de collaboration, c’est de demander de l’aide.
Encore une fois, on a dans notre culture, notre éducation, que demander de l’aide c’est faire aveu de faiblesse. Alors qu’il s’agit d’un signe d’intelligence!
Si je ne suis pas parfaitement expert, je vais demander à ceux qui le sont!
On se rend compte que, juste après l’incident, les experts de la NASA, qui sont des sommités, demandent de l’aide tout de suite. Alors que nous aurions tendance à demander de l’aide quand on a déjà essayé plusieurs fois et que cela ne fonctionne pas, ce qui arrive donc parfois trop tard.
Hors, demander de l’aide passe par une certaine forme d’utilité et, curieusement, les gens qui sont très compétents dans leur domaine n’ont aucun problème à avoir cette humilité et à demander de l’aide. Souvent, les gens qui sont plus fragiles vont avoir peur d’appeler à l’aider et donc d’avoir l’air encore plus fragile.
C’est donc au management de réussir à faire passer le message que demander de l’aide est, au contraire, un signe d’intelligence.
Après cela, évidemment, il faut savoir où aller chercher cette aide. D’où l’importance d’avoir de bonnes cartographies des compétences dans l’entreprise ainsi que des aptitudes de chacun.

Ensuite, nous avons encore un très bon exemple de délégation responsable quand un des ingénieurs décident de fermer les portes des piles à combustible, ce qui empêchera la mission d’aller sur la lune. C’est lui qui prend la décision. Ce qui montre que c’est aussi aux personnes qui font le boulot tous les jours, qui sont formés pour ça, de prendre des décisions qui concernent leur domaine d’expertise et non pas forcément au N+1 ou N+2 qui aurait la science infuse et de décider de tout.
Bien sûr, son directeur le challenge, en lui expliquant qu’en prenant cette décision, le vaisseau n’atteindra pas la Lune.
Ce à quoi il rétorque: “La mission est à l’agonie, c’est la seule option”, tout en précisant: “de mon point de vue”.
Il sait qu’il y aura sans doute d’autres conséquences à sa décision, il précise donc que “selon lui” c’est la meilleure option à prendre sans pour autant imposer son idée comme étant parole d’Evangile.
La délégation se base donc aussi sur une bonne distribution des rôles et des responsabilités.

Une nouvelle caractéristique d’agilité mise en place par la NASA, c’est la notion de délivrable.
L’institution sait que dans certaines situations, elle n’aura pas le temps de régler les problèmes et met donc en place des processus en amont afin de pouvoir gérer les problèmes à temps, à un moment donné. C’est, bien sûr, un travail commencé des mois, voire des années auparavant afin de garantir une certaine efficacité.

Dans le même extrait, on peut voir des supérieurs hiérarchiques qui sont présents, dans la salle de commandes mais ils ne disent rien.
Pourquoi? Cela affirme qu’ils valident, qu’ils approuvent et donc qu’ils délèguent.
Mais pourquoi sont-ils donc présents dans cette salle? Cela permet donc aux directeurs de vol de prendre une décision qui sera avalisée immédiatement par le silence des supérieurs. Il est donc intéressant de voir que la délégation peut aussi très bien se faire par la non-action mais la présence.
Cela démontre clairement l’importance pour une organisation d’avoir un management de soutien. Un management qui soutiendra la décision prise par son collaborateur puisqu’il lui aura délégué ce type d’actions. C’est très important pour les gens de savoir que dans leurs actions, dans leurs compétences, ils sont soutenus par leur hiérarchie.

Autre volet d’une importance primordiale, la communication.
Tout d’abord, la régularité de la communication. Je mets mon client régulièrement au courant afin d’éviter de laisser le client dans l’incertitude et qu’il puisse imaginer le pire. Même si on n’a pas encore de résultat atteint, il faut savoir simplement communiquer et dire: “Voilà où nous en sommes”.
Montrer au client, qu’il soit externe ou interne, qu’on travaille pour lui, le faire se sentir important.
Ce sera évidemment le client qui devra définir cette régularité.
En effet, tous les clients ne sont pas les mêmes, certains auront besoin d’être rassurés beaucoup plus souvent que d’autres.

Autre aspect primordial de la communication, la transparence.
Dans ce cas-ci on parle bien évidemment de transparence en cas de problème mais pour la NASA il s’agit d’une transparence générale.
Jusqu’à cet incident, la NASA avait toujours pratiqué une certaine langue de bois, l’institution restait très secrète.
Ensuite, elle a complétement changé de ton. Le plan a été de dire, toutes les informations sont disponibles sauf ce que je ne veux pas dire à ce moment-là ou à ces gens-là.
Parce qu’il est légitime pour une entreprise de ne pas tout dire.
Mais cela passe mieux que de dire: “Toute l’information est bétonnée sauf ce que je veux bien montrer”. C’est une façon différente de tourner les choses.
L’intérêt de cette transparence, en cas de problème, l’idéal c’est de le dire soi-même et le plus vite possible.
Tout d’abord parce qu’on ne pourra pas vous reprocher d’avoir caché l’information et ensuite, pour asseoir la crédibilité.
Si je suis responsable et que je suis en charge du problème, les solutions et les décisions prisent pour pallier au problème seront aussi bien acceptées.
La transparence permet aussi de faire exister le problème et donc de demander de l’aide.

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